Luc Fortin, Lubie 15 février 1994
Le jeu est à la mode. Gratteux par ici, gratteux par là., même le casino de Montréal ne suffit pas à la demande ! Tant mieux pour eux. Personnellement je n’ai pas le loisir de flamber les quelques dollars qui me restent pour aller entendre un tonnerre de sonnettes et attendre de voir s’aligner sous mes yeux trois cerises ou trois bananes. Malgré tout j’aime le jeu et il m’arrive de jouer à la loterie. Quand les gros lots comptent plusieurs millions la tentation l’emporte sur ma raison. Cela me fait rêver. Ces concours s’adressent à tous et l’intérêt qu’on porte paraît parfois généralisé. Cela tient de la frénésie.
Nous avons vécu la frustration de perdre à la loterie et de voir s’envoler du même coup tous nos rêves. Aucune retombée immédiate pour soi, pas un dollar à se mettre sous la dent.
Il existe heureusement des compétitions qui rapportent à la collectivité : les concours d’architecture. Quoi de plus motivant que d’envisager ce qui pourrait être l’avenir. Parfois il suffit de choisir une destination pour ensuite découvrir son chemin. La région devrait à mon sens y penser sérieusement. Je n’invente rien. Cette pratique du concours d’idée ou de la commande précise a cours dans la plupart des pays depuis fort longtemps. Cette démarche compétitive exige de la part des participants une plus grande originalité, favorise la recherche et l’innovation et met en relief des talents étonnants. Elle accompagne aussi, grâce à un support médiatique, d’une sensibilisation accrue du public pour la qualité de la ville, de son aménagement et de son architecture.
Imaginons un peu une zone désaffectée, un quadrilatère mal foutu ou quoi encore. La question est simple. On l’adresse aux architectes, urbanistes et concepteurs : Quel potentiel recèle un site et que peut-on en faire dans cinq, dix, quinze ans ? les modalités du concours doivent alors être définies, en termes assez larges pour autoriser une vision globale du site dans son quartier, voire dans la ville.
Pour juger le tout, il nous faut un jury bien sûr, quelques personnalités régionales en vue, des architectes « importés » de l’extérieur, histoire de confronter les grands courants avant-gardistes du dehors aux courants régionaux. Il faut que ça gueule un peu pour susciter l’intérêt du public et ajouter du piquant au débat. La juxtaposition des approches poétiques, symboliques et philosophiques, plastiques, esthétiques et techniques ne manque pas d’ajouter à l’engouement.
Le résultat du concours, trop souvent non réalisé sert néanmoins à établir un plan directeur. Une fois la ligne tracée, les promoteurs savent à quoi s’en tenir. La concertation, très à la mode elle aussi, s’avère indispensable dans le contexte actuel. Il n’est pas de la responsabilité des villes de jouer tous les rôles. C’est une réalité criante. Cependant assurer la mise en scène peut canaliser les efforts et indiquer une direction.
Il me semble qu’une prise en main vigoureuse de la vision que nous nous faisons de notre avenir peut marquer le début d’un virage. La région refuse de s’éteindre. Les villes doivent s’organiser pour rester vivantes, attrayantes et modernes.
Suivant la tenue d’un concours d’architecture dans la région, je compterais certainement pour gagnant les 275 000 Saguenéens et Jeannois, si l’exercice d’entendre seulement parler d’architecture ouvre les yeux sur la chose. Puissent-ils la voir comme un art plutôt qu’une mode.
Pour les concepteurs qui prennent part à l’événement, la concurrence peut déranger mais la craindre serait reconnaître les doutes que l’on porte en soi sur sa propre capacité à relever le défi. La force d’une identité, personnelle ou collective, s’exprime à travers les concepts que chacun développe au meilleur de ses connaissances, talents et moyens. Je crois que l’ouverture du débat de l’architecture en ce Royaume peut favoriser l’éclosion d’un langage teinté d’un accent bien de chez nous.
Faites vos jeux. Je mise sur l’architecture!