Luc Fortin, Lubie janvier 1996
La dinde n’a pas encore refroidi que déjà le jour de l’an s’amène. C’est l’heure des bilans et des résolutions. On évalue les bons et moins bons moments qui ont jalonné l’année qui vient de se terminer. On mesure son niveau de bonheur ou de malheur pour faire des choix et prendre de bonnes résolutions.
1995 s’est achevée avec la remise des prix d’excellence en architecture, le 30 octobre dernier. L’Ordre des architectes du Québec organise cet événement pour susciter l’intérêt du public et surtout reconnaître les mérites des quelques projets réussis. Un jury indépendant a été formé, présidé par Vittorio Gregotti, éminent professeur, éditeur et architecte italien, assisté de Börkur Bergmann, architecte et professeur à l’université du Québec à Montréal, Jacques Chartrand, ingénieur émérite, André Ramoisy, architecte et Armand Vaillancourt, artiste, prix Paul-Émile Borduas. Malgré les origines diverses et les approches différentes qui caractérisent ses membres, le jury a rapidement rendu son verdict.
En tout, quatre-vingt-quinze projets ont été soumis au programme des prix d’excellence : vingt-et-un dans la catégorie architecture institutionnelle; treize dans la catégorie architecture commerciale; seize dans la catégorie architecture résidentielle uni-familiale ; trois seulement dans la catégorie architecture résidentielle/ensemble d’habitation; deux dans la catégorie design urbain et dix-sept dans la catégorie conservation architecturale. Le jury a récompensé quatorze projets mais n’a pas accordé son Grand prix…
Le jury détermine lui-même les critères d’évaluation auquel il entend soumettre les œuvres. Il s’agissait d’abord, pour un projet quelconque, de se distinguer comme significatif et exemplaire par sa démarche, son originalité et ses qualités. Le choix des gagnants est coloré et nuancé par la personnalité propre des membres du jury. 1995 fut une année assez pauvre en projets de marque ( pas de Grand Prix), sans doute à cause des conditions difficiles de l’économie. Il est heureux cependant de constater que, malgré cela, certains promoteurs ont eu le courage de promouvoir la bonne architecture. Les œuvres primées démontrent que la création architecturale est toujours bien vivante. Les lauréats ont tous privilégié une approche résolument moderniste. Le post-modernisme serait-il enfin mort ?
Les architectes ont fait des prouesses pour tantôt sauvegarder le patrimoine religieux en concevant des transformations, des réutilisations et ajouts fonctionnels, imaginatifs et beaux, tantôt pour repenser la typologie et le langage formel propres à des fonctions nouvelles. Le plaisir de l’œil n’est pas laissé pour compte. Il apparaît évident, à l’examen des œuvres, que la recherche de solutions nouvelles en réponse aux besoins d’aujourd’hui a vraiment fait la différence. Les lignes si élégantes de L’espace Go imaginées par Blouin, Faucher, Aubertin, Brodeur, Gauthier et l’intégration d’un centre d’interprétation de l’eau et du fleuve Saint-Laurent dans la biosphère, par B .F .A .B .G. et Desnoyer Mercure et associés illustrent une modernité bien tempérée. Des constructions aussi disparates qu’une plate-forme d’observation à Laforge 2 ( sans prix ni mention), une usine de filtration à Boischâtel, une agence de publicité à Montréal, un centre de formation professionnelle à Saint-Jérôme dans les Basses-Laurentides ou un centre de cration à Montréal présentent tous une façon de voir l’espace construit. Chaque édifice propose une expérience sensorielle et intellectuelle unique qui rend la vie plus riche et plus intéressante. Un vocabulaire architectural unique se dessine.
On remarquera très vite, à la lecture des comptes rendus parus dans diverses revues spécialisées, la concentration des projets primés à Montréal et Québec. Les régions ne reçoivent que trois récompenses. Il est vrai que rien de bien emballant n’est apparu dans le paysage construit autour de nous en 1995; il est vrai aussi que les sommes d’argent allouées à la construction de qualité dans la région sont pratiquement nulles.
La formule même du programme de prix d’excellence présente malheureusement certaines lacunes. Par exemple, les participants doivent se conformer à des règles strictes de présentation des projets, à savoir un format de papier trop petit (8 1/2 X 11), des diapositives et des photos. Il faut aussi savoir que les promoteurs et architectes sont invités à soumettre à ce concours leurs œuvres réalisées. Donc les acteurs qui postulent veulent recevoir un prix ou une mention. Il existe toutefois de bon projets d’architecture qui mériteraient qu’on s’y attarde pour leur valeur stylistique, fonctionnelle ou technique mais qu’on ignore, faute de publicité ou de les voir soumis au jury. Il ne s’agit pas ici d’un concours populaire. Cet événement annuel demeure, malheureusement , élitiste et ne touche que des projets dont les budgets sont importants. C’est mieux que rien du tout, évidemment. La couverture médiatique du programme des prix d’excellence, à la télévision ou dans la presse écrite, fait connaître, avec plus ou moins de bonheur, ce qui se fait de mieux dans le monde du design d’intérieur, de l’architecture et, dans une certaine mesure, de l’ingénierie.
En général, les prix d’excellence demeurent méconnus de la majorité de la population. Cet état de fait isole les profanes de ce qui pourrait leur servir de base de référence. Comment se faire une opinion, comment former sa culture en architecture lorsqu’on ne sait pas ce qui est jugé médiocre ou excellent ? Et pourtant, au Saguenay-Lac-St-Jean, il y aurait tant de formation à faire auprès du public !
Pourquoi aucun projet conçu au Saguenay-Lac-St-Jean n’a été primé en 1995, ni l’an dernier, ni en 1993?