Luc Fortin, Lubie octobre 1994
Il existe ici-même, à Chicoutimi, une petite maison qui mérite qu’on s’y attarde. Elle est toute de jaune peinte et se dresse fièrement sur un petit promontoir. Une forêt de tournesols la ceinture et elle renferme un trésor incroyable. J’ai eu le plaisir de découvrir la Maison Robin, qui est située dans le quartier du bassin depuis bientôt 130 ans. Elle représente une tranche importante d’histoire où trois générations d’une même famille ont vécu et laissé leur trace. Cette maison a été témoin, plus que toutes les autres dans cette ville, des bouleversements qui ont affecté la société depuis l’ère victorienne jusqu’à nos jours.
C’est un peu le hasard et aussi la curiosité qui m’ont amené à y pénétrer, puisqu’il s’agit d’une résidence privée, mais plus pour longtemps. Une nouvelle carrière se dessine pour cette maison grâce à la ténacité et à la persévérance de ses deux propriétaires, Roland Laliberté et Alain Chabot, tous deux venus de l’extérieur. Ils ont choisi cette demeure spécifiquement pour son exceptionnelle valeur architecturale et patrimoniale dans le but de la restaurer. C’est avec brio et un grand savoir faire que les travaux progressent, réalisés par les propriétaires, avec l’aide de M.Rolland Robin, lui-même descendant de la famille Robin qui bâtit cette maison en 1865. M. Robin réalise les travaux d’ébénisterie requis pour la restauration.
En effet, la Maison Robin est appelée à devenir dans les prochains mois une auberge du type gîte du passant, et aussi un petit musée. Les visiteurs ne manqueront pas d’apprécier la chaleur de l’accueil des sympathiques proprios et du décor extraordinaire qu’ils ont reconstitué. Déjà on peut apprécier dans la maison une impressionnante collection d’antiquités qui au fil des années s’enrichira d’autres objets anciens et rares.
Qu’il s’agisse de la chaude lueur ambrée émanant de la lampe à l’huile victorienne, de la voix envoûtante de Zarah Leander qui grince sur le 78 tours, des parfums de la cuisine rustique, des couleurs sombres des boiseries, de la richesse des papiers peints, tout en ces lieux contribue à créer une ambiance agréable. Le mobilier dans toute la maison a fait l’objet de recherches chez les antiquaires et brocanteurs. Certaines pièces ont été données, d’autre prêtées. Vous avez chez vous de vieux meubles qui ne servent pas ? vous pouvez les prêter à la Maison Robin. On en prendra soin.
Les Travaux ont commencé dès 1992, après l’achat de la maison. La famille robin avait su heureusement conserver la demeure familiale en état, mais la passion des nouveaux occupants a tôt fait de lui rendre son élégance d’antan. Il a fallu d’abord faire des recherches auprès de la famille et des institutions pour retrouver photos et souvenirs pouvant aider à restituer fidèlement ses caractéristiques à la maison.
Des fouilles au sous-sol, en cours de travaux, ont mis au jour des artéfacts dignes d’intérêt, qu’un archéologue de L’Université du Québec à Chicoutimi est à dater.
La Maison Robin fut jadis de style québécois, mais ce n’est que vers 1900 qu’elle fut transformée et adaptée au style victorien, très en vogue. La famille Robin jouissait de revenus suffisants. Louis-Philippe Robin était mesureur de bois de son métier. Les transformations touchaient les galeries qu’on a ornées de fioritures, les lucarnes qu’on a agrémentées de flèches et la porte d’entrée qui fut refaite au goût du jour.
Les années n’ont certes pas apporté que de bonnes choses. Trois couches de prélart recouvraient le plancher de grosses planches et des gallons de décapant ont été utilisés pour rendre aux murs, moulures et boiseries leur couleur originelle. Sur les planchers peints à l’ancienne on installera des tapis d’Orient. Le plancher de la cuisine présente un intérêt particulier. Il est recouvert d’un prélart datant de 1945 rehaussé de motifs en insertion assez inusités.
Même à l’extérieur de la maison, tout autour des longues galeries, l’aménagement paysager fait rêver; tournesols de trois mètres de haut, d’énormes ricins, plans de courgettes, fleurs, herbes aromatiques, et quelques arbres dont un orme d’Amérique. Ce dernier porte une histoire, comme chaque objet d’ailleurs dans cette maison. En janvier 93, la fabrique de la paroisse de Sacré-Cœur avait fait abattre un magnifique orme qui disait-on, représentait un risque pour les bâtiments voisins. Le jeune orme planté sur la propriété le remplace. C’est encore heureux que quelqu’un s’en soucis un peu.
Il va sans dire que les heures consacrées à la tâche seraient difficiles à évaluer. La plupart du temps libre des propriétaires y est consacré. Cette passion est d’autant plus méritoire que, bien que la maison soit classée pour sa valeur patrimoniale, aucune aide financière de l’extérieur, ville ou ministère de la culture n’appuie de tels efforts de conservation et de remise en valeur.
Combien de trésors d’architecture ont disparu faute de prise en main, ou tout simplement d’intérêt. Il importe de souligner, d’encourager et de féliciter les initiatives comme celle-ci, de rendre vie au patrimoine et aux quartiers anciens.
C’est un peu plus tard cet automne que l’auberge La Maison Robin commencera à recevoir les visiteurs de partout. Six chambres décorées simplement mais combien chaleureuses, seront offertes, incluant le déjeuner, pour un prix tout à fait abordable. Avis aux parents et amis de l’extérieur ! Quand au menu, on pourra s’attendre à une fête pour le palais et pour les yeux nous dit-on.
On ne peut parler de la Maison Robin sans s’attarder sur sa vocation parallèle muséologique. Elle présentera un portrait intimiste de la famille Robin, sur trois générations, en films, images et objets, disposés dans les différentes pièces de la maison. Nos hôtes disposent déjà de toute la généalogie des Robin qui ont habité la maison, de photos d’archives et de documents officiels depuis le tout début. On y retrouve même le contrat de vente des terrains, autrefois voués à l’agriculture, qui furent achetés de la famille Robin pour y construire le presbytère de la paroisse Sacré-Cœur, une autre perle d’architecture soit-dit en passant. En somme, on pourra y voir la vie de nos ancêtres au quotidien, dans un cadre tout à fait agréable. Ce sera pour toute la région une acquisition de grande valeur.